Tirailleurs sénégalais en 14-18

(source Wikipédia)

De nombreux Africains sont morts sur les champs de bataille français de la Première Guerre mondiale. Jacques Chirac, en tant que président de la république française, dans son discours pour le 90e anniversaire de la bataille de Verdun, a évoqué 72 000 combattantsde l’ex-Empire français morts entre 1914 et 1918, « fantassins marocains, tirailleurs, d’Indochine (Cochinchine, tirailleurs annamites), marsouins d’infanterie de marine »220px-Vallotton-Soldats_sénégalais_au_camp_de_Mailly

Tirailleurs sénégalais au camp de Mailly, Félix Vallotton, 1917

 

 

 

En 1910, le colonel Mangin dans son livre « La force noire » décrit sa conception de l’armée coloniale, alors même que Jean Jaurès publie de son côté « L’armée nouvelle » où s’exprime le besoin de chercher ailleurs des soldats que les Français ne pouvaient fournir en suffisance en raison d’une baisse de la natalité.

Difficultés de recrutement

Le recrutement est fondé sur le décret du 7 février 1912 qui institue le recrutement par voie de réquisition. Il est prévu dans les textes que les « indigènes de race noire du groupe de l’Afrique-Occidentale française peuvent en toutes circonstances être désignés pour continuer leur service en dehors du territoire de la colonie » et précise que « la durée du service actif est de quatre ans ».

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Carré musulman de la nécropole nationale d’Amiens (Saint-Acheul), au premier plan, tombe d’un soldat du45e RTS tombé pendant la Bataille de la Somme.
Si l’administration coloniale a rapidement proposé plusieurs milliers d’hommes volontaires ou recrutés avec des méthodes proches de celles des siècles précédents hérités de la culture arabo-musulmane (certains auteurs comparent ces méthodes à des « rapts » comme au temps de la traite négrière), des stratégies d’évitement (envoi de malades, d’estropiés, certaines commissions de recrutement ayant jusqu’à 80 % d’inaptes) puis des révoltes contre l’enrôlement ont éclaté loin des grandes villes d’Afrique, dont la première chez les Bambaras du Mali, près de Bamako,qui a duré environ 6 mois, du printemps à novembre 1915, annonçant d’autres révoltes plus importantes. Certaines sont très durement réprimées en juin 1916 par la France, qui fait tirer à l’artillerie sur une dizaine de villages « récalcitrants », tuant plusieurs milliers de civils.

Cela est lié au système du recrutement qui n’est pas, en l’absence de tout état-civil, celui de la conscription, mais celui de la réquisition. Les administrateurs coloniaux fixent des quotas aux chefs de cantons qui répercutent auprès des chefs de villages… comme du temps, en France des milices communales (celles de la bataille de Bouvines) et, quelques siècles plus tard, des milices provinciales (celles de la bataille de Denain). Bien entendu, un certain arbitraire peut ainsi présider aux désignations et, très souvent, la tendance naturelle dans les chefferies locales est de désigner les hommes qui représentent pour un motif ou un autre, une charge pour la société… Le recrutement vient d’une petite partie du Sénégal, la majorité des troupes étant réquisitionnée dans la colonie du Haut-Sénégal et Niger et de la Haute-Volta, rejoignant par train la gare de Dakar, capitale fédérale de l’AOF et dont la Direction des transports maritimes les fait embarquer en bateau pour la France.

Comme de nombreuses mutineries plus tardives, ces révoltes ont été cachées pour ne pas apporter d’arguments supplémentaires à la propagande allemande, qui dénonçait sans cesse le comportement de la France en Afrique. La propagande allemande de l’époque décrivait les tirailleurs comme étant des « barbares » et mercenaires » d’Afrique venus pour combattre sur les fronts européens, signe selon Hitler de la « pollution et de la négrification du pur sang français ». Ce thème est repris en France par les « négrophobes » contre les « indigénophiles » mais ces « braves tirailleurs » sacrifient leur vie contre l’ennemie héréditaire, le boche, si bien que Blaise Diagne, Haut Commissaire du gouvernement pour le recrutement des troupes noires, essaye de convaincre les habitants de l’AOF et de l’AEF de venir se battre en France tout en leur promettant la reconnaissance de l’égalité civique et l’abolition des discriminations institutionnelles, en échange de l’« impôt du sang » .

On connaît le quotidien des tirailleurs sénégalais en France grâce à Lucie Cousturier. Peintre néo-impressionniste, elle est voisine à Fréjus d’un camp de tirailleurs. Elle se met à les recevoir et à leur apprendre le français. Elle se lie d’amitié avec plusieurs d’entre eux. Elle rend compte de leurs rencontres, de leurs conversations et de leur correspondance dans Des Inconnus chez moi, publié en 1920. Cette œuvre est adaptée à la scène par la Compagnie la Poursuite en 2014 à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale.

Certains administrateurs français (tel Joost van Vollenhoven qui découvre les ravages faits par ces recrutements20), et des colons, acteurs du commerce colonial ont également freiné l’appel sous les drapeaux de jeunes Africains, estimant qu’on les privait ainsi d’une main d’œuvre jeune qui n’était pas à l’époque abondante en Afrique.

Blaise Diagne devient en 1917 commissaire général aux troupes noires avec rang de sous-secrétaire d’État aux colonies. Il mène avec succès des missions en Afrique-Occidentale française pour organiser le recrutement militaire en cette période de guerre. Entre février et août 1918, il sillonne l’Afrique de Dakar à Bamako et essaye de convaincre ses « compatriotes » qui étaient encore soumis au Code de l’Indigénat de venir se battre en France, tout en leur promettant des médailles militaires, une bonne solde, un certificat de bien manger, un habillement neuf et surtout la citoyenneté française une fois la guerre finie. Les primes de recrutement sont fortement augmentées. Il réussit de la sorte à mobiliser 63 000 soldats en AOF et 14 000 en AEF21. Il retrouvera d’ailleurs cette fonction de 1931 à 1932, dans le premier gouvernement de Pierre Laval.

Épouses et familles de tirailleurs

C’est un thème peu traité par les historiens. Il a été abordé par les propagandistes de la force noire, et on en trouve des éléments dans les archives coloniales ainsi que dans la littérature ou certains témoignages d’époque.

Plusieurs officiers ont suggéré dès le xixe siècle que les femmes de soldants indigènes puissent être admises à accompagner leur mari. Le décret de 1857 fut modifié (en 1873) pour autoriser les femmes de tirailleurs à accompagner leur mari dans le lieu de garnison, ainsi que lors des campagnes miliaire, médicales ou d’exploration, en dépit des difficultés organisationnelles que cela représentait. « La présence des femmes, entre lesquelles s’établit une hiérarchie d’après le grade du mari, est la cause de querelles et de jalousie, mais de nombreux avantages viennent compenser ces inconvénients que les coupables rachètent par les services qu’elles rendent. Les femmes chargées de tous les ustensiles du ménage suivent les colonnes sans les ralentir ; à l’étape elles se chargent du soin de préparer la nourriture de leurs maris et aussi celle des tirailleurs célibataires ; enfin, par leur présence, elles donnent au camp l’aspect eu village natal(…) Cette vie en ménage influe aussi heureusement sur la santé physique que sur la santé morale des noirs (…) En Chaouia où les compagnies de tirailleurs algériens ont été décimées par les maladies vénériennes, les Sénégalais ont été très peu touchés par ces affections (…) En résumé, le milieu spécial dans lequel vit le soldat indigène n’enlève rien à sa valeur militaire) » écrivait G pasquier en 1912 cité in « Les femmes des Tirailleurs sénégalais, histoire et histoires », de Janos Riezz (1993).

Certains tirailleurs utilisaient leurs premiers salaires et et la prime qu’on leur donnait pour faciliter leur intégration(160 fr pour un engagement de 4 ans, et 200 à 240 fr pour 6 ans) pour « acheter » une femme (éventuellement autre que leur épouse légale, c’est-à-dire n’ayant pas nécessité paiement d’une dote, par exemple acquise (avec leurs enfants) comme « conquête de guerre » selon certains témoignages de voyageurs ou militaires) ou payer une dot variant à cette époque « de 20 à 100 fr de l’époque dans la courbe du Niger, mais plus de 500 à 600 dans le haut-Sénégal, et jusqu’à 2000 fr dans les centres urbains de la côte) ».

Les campements de tirailleurs pouvaient ainsi contenir de nombreux enfants, phénomène rarement observé parmi les armées de l’époque. Paul Adam dans son livre posthume « Notre Carthage » en fait une description idéalisée, mais d’autres auteurs décrivent ces femmes comme contribuant épisodiquement à des évènements joyeux, mais également traitées comme des bêtes de somme et souvent victimes des guerres.

Paul Claverie dans son journal les décrit comme « laides à faire peur, avec un air las et résigné de bête de somme ». Louis Carpeaux, les décrit après une bataille allant à la rencontre de leurs maris dans leurs plus beaux habits pour fêter leur victoire jusque tard dans la nuit, mais décrit aussi, des épouses venant se plaindre d’être délaissées par leur mari pour des femmes plus jeunes. Parfois elles restent seules et sans argent pour subvenir à leurs besoins pendant que leurs maris ont partis pour une longue campagne, dont ils ne reviendront éventuellement pas.

Les tirailleurs au combat

Embarquement de tirailleurs sénégalais à Fréjus pour le front en 1915.

Fanion du 43e bataillon de tirailleurs sénégalais portant l’inscription Douaumont 1916

Les Tirailleurs sénégalais défilant à Reims en 1914

Au cours de la guerre, les tirailleurs sénégalais se couvrent de gloire à la bataille d’Ypres, à Dixmude fin 1914, lors de la prise du Fort de Douaumont en octobre 1916. Ils participent à labataille du Chemin des Dames en avril 1917 au cours de laquelle ils perdent plus de7 000 hommes sur 16 500 engagés, soit le quart de leurs pertes totales au cours de la guerre, ainsi qu’à la bataille de Reims en 191824. Les tirailleurs sont aussi engagés en mer Noire, en 1919, lors de l’intervention française dans la guerre civile russe contre les Bolcheviques.

Principe d’emploi des unités africaines[modifier | modifier le code]

Les cas où des régiments de tirailleurs sénégalais furent employés tels quels au combat sont rarissimes… La règle était la mixité. Au sein d’un régiment d’infanterie coloniale (RIC) on retirait un bataillon d’Européens pour le remplacer par un bataillon d’Africains. Ainsi transformés les RIC devenaient RMIC . Avec le reliquat des bataillons, d’autres RMIC furent mis sur pieds… Ce qui tord le cou aux affirmations concernant la prétendue « chair à canons » africaine que l’on sacrifiait délibérément.

Hommages

En 1924, la ville de Reims construit le Monument aux héros de l’Armée noire, inauguré le 13 juillet 1924 par Édouard Daladier, ministre des Colonies, pour rendre hommage aux soldats noirs qui ont défendu la ville en 1918.

L’entre-deux-guerres

La fin de la Première Guerre mondiale est marquée par une profonde réorganisation des Troupes Coloniales. La pénurie de main d’œuvre due aux pertes effroyables françaises consenties pendant le premier conflit mondial (1 355 000 morts et 3 595 000 blessés), explique en partie cette situation. Un ralentissement marqué du recrutement des jeunes engagés est constaté. De plus les rigueurs budgétaires imposées par l’effort de reconstruction, et l’absence de menace de la part de l’Allemagne vaincue, ont raison d’une grande partie de l’infanterie française. Les Troupes Coloniales voient près de 80 % des régiments qui la composent dissous. Seuls subsistent en tant que régiments blancs, les 3e, 21e, 23e RIC en métropole, les 9e et 11e RIC en Indochine, et le 16e RIC en Chine. C’est ainsi que disparaît le 1er mai 1923 le 24erégiment d’infanterie coloniale qui tenait garnison depuis sa création à Perpignan qui s’était pourtant brillamment illustré pendant tout le conflit perdant plus de 8 000 hommes et décrochant la croix de la Légion d’honneur.

Pour pallier cette carence il est alors décidé d’incorporer des soldats locaux (Sénégalais, Malgaches et Indochinois). En 1926, sous l’appellation générique de Tirailleurs Sénégalais, sont créés les 4e, 8e (Toulon), 12e (La Rochelle) et (Saintes), 14e (Mont-De-Marsan), 16e (Montauban), et 24e régiment de tirailleurs sénégalais (RTS) (Perpignan). Le 42e à Pamiers et 52e à Carcassonne, ces deux derniers régiments deviennent les 42e et 52e bataillons de Mitrailleurs Malgaches et Indochinois ils seront implantés dans des garnisons du sud de la France. Tout comme les unités Nord-Africaines, (Tirailleurs Algériens, Tunisiens, Marocains), les RTS s’avèrent plus économiques et plus dociles, que les unités blanches. C’est ainsi que Perpignan récupère un régiment colonial, le 24e régiment de tirailleurs sénégalais, régiment qui malgré sa nouvelle appellation et sa composition, hérite des traditions et du drapeau aux huit inscriptions de son prédécesseur. la plus grande partie de l’effectif hommes de troupe est désormais constituée par des soldats Africains, communément appelés « Tirailleurs sénégalais » ou soldats indigènes, tous originaires des diverses colonies de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Les soldats « européens », en petit nombre, tiennent les emplois de spécialistes (transmissions, servant d’engins, secrétaires) et sont destinés, en principe, aux pelotons d’élèves-gradés, caporaux et sergents.