Niankoï, « mort pour la France » Plélan le Petit- Gilles Bourrien

Niankoï, « mort pour la France »

« Le cinq Mars mil neuf cent quarante-deux, à dix heures vingt minutes, est décédé à la Perrière-Mallet en Plélan-le-Petit, le soldat de première classe Niankoi matricule français 27.011, prisonnier de guerre 2.707 du Front-stalag 231, originaire du Village de Bounouma, Cercle Sérégbélé (Guinée française) où il est né en mil neuf cent douze, de père et mère dont les noms ne sont pas connus des déclarants, célibataire »

« Mort pour la France »

Dressé le six mars, à onze heures sur la déclaration de 1° Lecorgne Jean cultivateur, au bourg de Plélan-le-Petit, âgé de quarante-et-un ans – 2° Maibaum sous-officier de l’armée allemande commandant du camp des Prisonniers noirs de Plélan-le-Petit.

Etat-civil, mairie de Plélan-le-Petit.1 Cimetière de Plélan-le-Petit.

cimetière de Plélan le Petit

cimetière de Plélan le Petit

Comment se fait-il qu’un soldat français était prisonnier des Allemands en France lors de la Seconde guerre mondiale ?
Pourquoi cet homme avait-il été tué et dans quelles circonstances ?

Le soldat Niankoï est né en 1912 à Zékouré en Côte d’Ivoire, mais sa famille demeure à Bounouma en Guinée française. Il est recruté en Afrique sous le matricule 37 071, puis il est versé dans le 12ème RTS.2

Son régiment est envoyé combattre les Allemands lors de l’offensive de mai/juin 40. L’affrontement est d’une très grande violence et les pertes sont terriblement lourdes pour le 12ème RTS. Les 18 & 19 mai, il est engagé près de Beaumont et de Stenay, à environ 20 km au sud de Sedan, lors de furieux combats à coups de grenade et d’armes blanches. Mi-juin, le 12ème RTS est de nouveau au contact des Allemands près de Bar-le-Duc ; ce qui donne lieu à des massacres de prisonniers noirs. Dans la nuit du 15 au 16 juin, des soldats de la VIème Panzerdivision exécutent un grand nombre de blessés qui n’étaient plus en état de porter des armes. Les exactions se poursuivent dans les jours suivants. Face à l’offensive allemande, l’armée française recule. Les derniers combats du régiment ont lieu au nord de Lyon et c’est là, à Réding que Niankoï est capturé le 22 juin 1940.

Il est interné au Frontstalag 231 dans le département des Deux-Sèvres, à Airvault, sous le matricule 2 707.

En 1942, le soldat Niankoï se retrouve à Plélan-le-Petit dans un commando de travail. Un courrier du maire de cette commune, adressé à la sous-préfecture de Dinan, le 22 juin 1941, nous apprend que « nous avons dans ma commune depuis le Mercredi dernier 80 prisonniers Sénégalais venus défricher des landes ».3 Les conditions de travail sont rudes car les outils utilisés par les prisonniers sont très rudimentaires, comme le montre l’inventaire réalisé par le maire le 2 mars 1942 : « 32 pioches, 68 pelles, 12 faucilles, 8 fourches, 2 houes, 2 serpes, 1 hache ».4

Le 5 mars 1942, un drame se produit. Dans sa déclaration aux gendarmes, le maire rapporte ainsi ce que les Allemands lui ont dit : « j’ai été prévenu par le sergent Allemand Chef de poste au camp de prisonniers Sénégalais à Plélan-le-Petit, qu’un des prisonniers avait été tué d’un coup de fusil par une sentinelle Allemande. Le sergent m’a dit que ce drame avait eu lieu à « La Perrière-Mallet », où les prisonniers sont employés à défricher des landes. D’après ce même sergent de l’Armée Allemande, le prisonnier serait resté en après son groupe à l’effet de demander à Mme Vve Cadol, cultivatrice au village précité, , si elle n’avait pas un œuf à lui vendre. La sentinelle aurait invité le prisonnier à rejoindre son groupe, mais en cours de route, le prisonnier qui était porteur d’une pelle, s’est regimbé et en aurait menacé la sentinelle Allemande. Cette dernière se serait alors repliée en arrière, puis aurait tiré un coup de fusil, tuant net le prisonnier Sénégalais ».5

Les Allemands ordonnent de laisser le cadavre sur place, mais le maire accouru sur les lieux du drame exige que le malheureux soit enterré au cimetière. Il obtient gain de cause, mais en contrepartie la population a l’interdiction formelle de se rassembler pour des obsèques. De son propre chef, le maire, monsieur Lefort, fait apposer sur l’état-civil « Mort pour la France » ; en mars 1944, le Conseil municipal vote l’érection d’un « petit monument en pierre au cimetière communal sur la sépulture du soldat Sénégalais Niankoï ».6

Rémi Jouffe, ancien résistant du Pays de Plélan-le-Petit, se fait l’écho en 2015 de la réaction de la population. « La population a été choquée… On était obligé de se taire… Ça a fait un petit drame parce que tous ces gens-là [les tirailleurs] allaient travailler dans les fermes qui demandaient un coup de main pour le travail manuel. Alors ils envoyaient deux ou trois Sénégalais avec un allemand pour les garder. Ils travaillaient à la ferme et ils mangeaient à la ferme également. Ils parlaient un peu français… On a été un peu marqué par ça… Ils ne sont restés que deux ou trois mois car les Allemands avaient bien vu qu’ils avaient fait une bavure. La population refusait de voir les Allemands. »7

Les gendarmes de la brigade de Plélan-le-Petit mènent une enquête afin d’établir les circonstances exactes de la mort de ce soldat. Ils relèvent dans leur rapport du 6 mars 1942 le témoignage de madame Cadol. « Hier matin, comme d’habitude, ce groupe a passé devant chez moi vers 10 heures. Je me trouvais à la porte, à l’intérieur de ma maison. Un prisonnier qui se trouvait à une dizaine de mètres derrière le groupe, suivi par une sentinelle, s’est arrêté devant ma porte et ma demandé si j’avais des œufs, ajoutant qu’il était malade. Je lui, ai répondu que je n’en avais pas pour l’instant, mais qu’à son retour si les poules avaient pondu, il en aurait.

A ce moment, la sentinelle Allemande lui a dit en français : « allez, allez, filez. » Le prisonnier est parti, suivi de la sentinelle. Je n’ai entendu aucune discussion. Quelques minutes après, j’ai entendu deux coups de fusil. J(ai sorti ma tête en-dehors de l’embrasure de la porte et j’ai vu le prisonnier Sénégalais dont je viens de vous causer, à genoux, les bras en l’air, qui criait. Les trois sentinelles Allemandes étaient auprès de lui.

Affolée, je suis rentrée chez moi sans regarder davantage et ai entendu aussitôt un troisième coup de fusil. C’est tout ce que j’ai vu et entendu.

J’ajoute que lorsque j’ai vu le prisonnier Sénégalais à genoux, les bras en l’air, c’est-à-dire après les deux coups de fusil, il n’avait rien dans les mains. »8

A la lecture de rapport, il semble qu’il s’agisse plus d’une exécution que d’une réaction défensive de la part de l’un des gardes. C’est donc un crime de guerre manifeste.

Mais pourquoi assassiné un homme sans défense ?

L’idéologie raciste des nazis a joué dans ce drame un rôle indéniable car elle avait largement contaminée l’armée allemande depuis le début de la guerre. La propagande ne cessait pas de présenter le noir en un sauvage redoutable et sanguinaire qu’il fallait éliminer.

Les historiens estiment a environ 4 000 les soldats noirs de l’armée française qui ont été assassinés hors des combats alors qu’ils auraient dû bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

1 Plélan-le-Petit, mairie, registre d’état-civil, 1942

2 Caen, SHD, AC 21 P 103849

3 ADCA, 5 W 108

4 ADCA, 5 W

5 ADCA, 5 W 102

6Plélan-le-Petit, mairie, registre des délibérations, 1944

7 ADCA, témoignage vidéo recueilli en juillet 2015 par Gilles Bourrien

8 ADCA, 5 W 102