Hervé de Williencourt

Exposition photographique (présentée le 2 octobre 2015 à Trévé)

Tirailleurs africains et maghrébins, un devoir de mémoire

Entre mémoire et témoignage, archive et création, « Tirailleurs, un devoir de mémoire » souhaite avant tout donner à voir la part importante – et occultée (1) – prise par les soldats africains et maghrébins pour la défense d’une France libre pendant la deuxième guerre mondiale. Ce travail se veut d’abord une rencontre avec des hommes qui sont donc porteurs d’une double histoire, la leur bien sûr, mais aussi la nôtre.

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Favoriser la rencontre : photographie et entretien

La plupart des rencontres (2) avec les Tirailleurs a donné lieu à des entretiens autour de trois moments-clés de leur parcours : le recrutement, la guerre, le retour. Les témoignages recueillis pèchent parfois par une chronologie inexacte et une connaissance sommaire de la géographie mais ils sont particulièrement révélateurs de l’existence d’une mémoire collective qui livre des précisions là où on ne s’y attend pas… C’est ainsi qu’au travers de témoignages chaque fois singulier et unique se dessine une mémoire collective qui met à jour l’étrange destin de ces hommes bouleversés par une histoire qui n’était pas a priori la leur. Et qui les a longtemps oubliés.

          1. Non-reconnaissance et cristallisation des pensions

Menés entre 1999 et 2004, les entretiens témoignent d’un fort sentiment de non-reconnaissance : les Tirailleurs ne comprennent pas que celle qui fut dans leur jeunesse leur « mère patrie » semble les avoir oubliés. Témoin pour eux de cet « oubli », la cristallisation des pensions. Lors de l’accession à l’indépendance des pays de l’AOF/AEF dans les années 60, l’Etat français, notamment pour des raisons financières, a cristallisé les pensions et les retraites de leurs ressortissants. Les disparités de ces pensions ont été aggravées par des majorations et des dérogations accordées par décret à certains états (3).

A mesure que le temps est passé, Bir Hakeim, Elbe, la Provence ne sont plus devenus que des lieux étranges et inconnus pour les jeunes générations « ici et là bas » et beaucoup de vieux Tirailleurs sont partagés entre amertume et espoir : « Aujourd’hui, nous sommes très fatigués. Les Africains qui sont morts là bas, c’est trop. Maintenant nous pensons que le bonheur que l’on a fait, les Français ne le connaissent peut-être pas. On a pensé tout ça. C’est ça qui nous fait mal. Et puis toi tu es venu, tu as pris nos paroles et tu vas partir »(4).

(1) Le sociologue Claude-Valentin Marie parle à ce propos d’ « (…) une amnésie collective dont la fonction majeure semble être de sauvegarder le mythe d’une vigueur nationale faisant face seule à toutes les épreuves. (…)Tout se passe comme si la participation étrangère dans la Libération de la France devait être d’autant plus occultée, refoulée, qu’elle rend plus criante l’indécision de la grande majorité des Français face à l’occupation, et plus inacceptable encore la trahison de ceux qui ont choisi la collaboration ».

(2) Ce travail est le fruit de cent cinquante rencontres avec des Tirailleurs entre 1999 et 2004 (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Tchad, Cameroun, Bénin, Maroc et Tunisie).

(3) Les pensions des anciens combattants africains sont revalorisées en avril 2004. En août 2004 le débarquement en Provence fait l’objet d’une commémoration en présence d’anciens combattants africains.

  1. Kone Soma, Côte d’Ivoire (février 1999).

Cette exposition bénéficie du soutien du FASILD-Bretagne (2008)

Hervé de Williencourt