Le Télégramme : 6 avril 2015 Tirailleurs sénégalais. « Ils veulent savoir »

 

Les briochins Alexandra Lacorne, photographe, et M'Baye Sow, vidéaste, se sont rendus à Thiaroye pour contribuer au devoir de mémoire

Les briochins Alexandra Lacorne, photographe, et M’Baye Sow, vidéaste, se sont rendus à Thiaroye pour contribuer au devoir de mémoire

Article d’Hervé Queillé : Le 1er décembre 1944, à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, l’armée française ouvrait le feu sur des tirailleurs sénégalais, faisant au moins 35 morts. Les Briochins Alexandra Lacorne et M’baye Sow reviennent d’une mission à Thiaroye, où ils ont sondé la mémoire des habitants.
Des habitants qui veulent savoir. Savoir pourquoi, il y a 70 ans, ces hommes qui ne demandaient que le versement de leur solde ont été massacrés à l’automitrailleuse par l’armée française. Cette armée dans laquelle ils avaient combattu. Cette France pour laquelle ils avaient risqué leur vie et étaient entrés en résistance. Mutinerie ou prémices de la décolonisation ? Refus de retourner au statut « d’indigènes » ? En tout cas, l’historienne lorientaise, Armelle Mabon, remet en cause la version et le bilan officiel de cet épisode occulté de la Seconde Guerre mondiale.
  « C’est mon histoire »
Alexandra Lacorne, photographe, et M’Baye Sow, vidéaste, eux aussi ont voulu en savoir plus. Missionnés par les « Bistrots de l’Histoire » de Saint-Brieuc, avec le soutien financier de la Ligue de l’enseignement, ils sont partis pendant quinze jours à Thiaroye. « Je me suis rendu compte que c’était mon histoire, confie M’Baye. J’y avais joué au foot quand j’étais jeune. J’avais entendu parler du massacre mais sans plus. Après avoir rencontré Armelle Mabon, j’ai voulu comprendre pourquoi la mémoire avait sauté une génération et ce, d’autant plus que mon grand-père était tirailleur. Il était très fier de ses médailles ».
 « Le vrai cimetière devenu un dépotoir »
À leur arrivée, les Briochins sont saisis par la pauvreté : « Ni eau, ni électricité, ni collecte d’ordures », commente Alexandra. Une pauvreté à la hauteur de la richesse de l’accueil des habitants : « Ils nous ont vite acceptés car ils ont compris et apprécié notre démarche. Il y a un artiste qui nous a dit que nous étions les premiers journalistes à venir poser des questions, ce qui l’avait réveillé dans ses rêves ». Un artiste qui va aussi devenir un précieux guide : « Il nous a expliqué que, dans le cimetière officiel qui commémore le 1er décembre 1944, il n’y aurait que des tombes anonymes et vides. Le vrai cimetière se trouverait dans ce qui est devenu un dépotoir, de l’autre côté du village », confient Alexandra et M’Baye.
Faire leur deuil
« Et tout le problème pour les habitants, poursuivent-ils, est de savoir combien de corps et qui sont les hommes qui sont morts. 70 ans plus tard, ils ont besoin de faire leur deuil. Et ce n’est pas le musée, où l’on ne trouve que trois ou quatre posters, qui peut les aider à faire ce deuil. Deuil et réparation. Que la France reconnaisse officiellement ce qui s’est passé. Pour réparer dignement la mémoire de ces hommes, sans oublier le versement des soldes qu’ils réclamaient, en juste dû ». À défaut de reconnaissance officielle, Alexandra et M’Baye ont, pour leur part, décidé de contribuer au devoir de mémoire. Ils témoigneront ainsi, images et vidéos à l’appui, lors d’un « Bistrot de l’Histoire », en octobre, à Trévé (22) près de Loudéac. Dans la commune même où, le 11 novembre 1944, 315 tirailleurs, qui avaient refusé de monter à bord du Circassia (le bateau devant les ramener en Afrique), avaient été conduits, manu militari, dans un camp.
Un camp de jeunes
C’est un autre camp qui sera organisé au mois d’août, à Trévé : une rencontre internationale de jeunes Sénégalais, Français et Allemands, à l’initiative des Bistrots de l’Histoire et de la Ligue de l’enseignement. « Un puissant symbole et un message d’espoir », affirment Alexandra et M’Baye, qui viendront également participer à ce « chantier de la reconnaissance ».
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